Lisses : cirque de l’Essonne

Il y a des paysages que l’on traverse sans voir, tant ils semblent faire corps avec le territoire. Et puis il y a ceux qui, tout […]

Il y a des paysages que l’on traverse sans voir, tant ils semblent faire corps avec le territoire. Et puis il y a ceux qui, tout à coup, nous arrêtent, nous forcent à lever les yeux, à ralentir, à écouter. Le Cirque de l’Essonne fait partie de ces lieux-là. Il n’est pas spectaculaire au premier regard. Il ne se livre pas d’un seul coup d’œil. Il s’apprivoise, se découvre à pas lents, dans le silence d’un sentier qui serpente entre les herbes hautes et les roselières, entre les arbres fruitiers qui renaissent et les coteaux sculptés par le temps. Il faut marcher, sentir la terre sous ses chaussures, suivre la trace d’un papillon ou le saut furtif d’une grenouille pour comprendre ce qui se joue ici.
Situé entre Corbeil-Essonnes, Villabé et Lisses, ce vaste amphithéâtre naturel de 130 hectares, à la fois enclavé et ouvert sur la ville, est une curiosité géologique autant qu’un refuge de biodiversité. Le site tire son nom de sa forme : un demi-cercle naturel creusé il y a des milliers d’années par la rivière Essonne, qui a dessiné un paysage de vallées, de coteaux, de plaines et de zones humides. Cette structure crée une diversité de milieux unique à l’échelle de la région. Là, sur un même territoire, cohabitent une mosaïque d’habitats : boisements, friches, mares, terres agricoles, coteaux calcaires et zones marécageuses, tous liés les uns aux autres dans un équilibre subtil.
Ce site exceptionnel, riche d’une faune et d’une flore rares, a longtemps été difficilement accessible. Au fil des années, la végétation s’était densifiée, les chemins s’étaient refermés, la nature avait repris ses droits dans ce lieu autrefois occupé par des vergers, des vignes et des cultures maraîchères. Mais en 2016, un projet ambitieux de réhabilitation a été lancé. Porté par Grand Paris Sud pour la partie ouest et par le Siarce pour la partie est, il s’est étendu sur plusieurs années, mobilisant des financements publics majeurs – Région Île-de-France, Département de l’Essonne, État et Union européenne – ainsi que le soutien d’un tissu associatif très engagé. Après six années d’études, nettoyages, travaux d’urgence et aménagements progressifs, la partie ouest du Cirque rouvre enfin à la promenade. Et pour célébrer cette avancée, un moment convivial est proposé au public le samedi 24 mai, de 10 h 30 à 12h, au 1 rue des Longaines à Lisses, à la lisière du site.
Cette matinée marque la réappropriation collective d’un espace naturel à la valeur patrimoniale et écologique immense. Elle permet de mesurer le chemin parcouru, mais aussi celui qui reste à accomplir, notamment dans les zones humides gérées par le Siarce, qui feront l’objet d’inventaires écologiques avant des aménagements prévus à l’horizon 2026. Elle rend visible l’attention minutieuse portée à la biodiversité locale : on dénombre ici au moins dix espèces de mammifères, dont plusieurs tritons, plus de cinquante espèces d’oiseaux dont certaines protégées comme la pie-grièche écorcheur ou le gobemouche noir, mais aussi vingt-six espèces de papillons de jour et vingt-huit de libellules. Le milieu humide, fragile et précieux, est le cœur battant du Cirque : il abrite euphorbes des marais, roseaux, samoles, et offre un refuge à la grenouille agile, au hérisson, au chevreuil, aux chauves-souris, aux renards, à une multitude d’insectes rares.
Le Cirque de l’Essonne est aussi une archive du territoire. Sur les coteaux, on trouve encore les traces des anciennes cultures de petits fruits et des vergers en terrasse. Des vignes y étaient cultivées jusqu’au XIXe siècle. Ces coteaux, longtemps enfrichés, ont été nettoyés, sécurisés, et traversés par des sentiers qui mènent aujourd’hui à un belvédère récemment aménagé. En haut, la vue embrasse l’ensemble du site, les plis du terrain, les contrastes de lumière sur la plaine cultivée, la respiration discrète des zones humides en contrebas.
En 2024, sur le plateau dominant, Grand Paris Sud a aussi implanté un verger patrimonial, renouant symboliquement avec les racines agricoles du lieu. Ce verger, où pousseront bientôt pommes, poires, figues et prunes, vient compléter une vision globale du site : un lieu de nature vivante, de transmission, d’apprentissage, de contemplation.
Rien de tout cela ne serait possible sans l’engagement d’acteurs locaux passionnés : associations de riverains, naturalistes, défenseurs du site depuis des décennies. Le Cirque de l’Essonne à Cœur, les Riverains de Robinson, l’AICE, Naturessonne, Corbeil-Essonnes Environnement, le Cercle des naturalistes de Corbeil… Tous ont joué un rôle clé dans la préservation, la surveillance, l’animation et la valorisation du site.
Le 24 mai prochain, cette matinée est donc une invitation. Une invitation à venir redécouvrir ce site à hauteur d’homme, à marcher dans ses pas, à entendre ce qu’il a à nous dire. C’est aussi une manière de rappeler que ces espaces naturels, si proches de nous, ont besoin d’attention constante. Le Cirque de l’Essonne est classé en zone naturelle sensible. Il ne s’offre pas sans condition. Il faut le parcourir avec respect, en restant sur les sentiers, en gardant les chiens en laisse, en laissant les plantes pousser et les animaux vivre. Ici, pas de feu de camp, pas de pique-nique, pas de bruit superflu. Juste la nature, telle qu’elle se recompose.
Ce jour-là, à Lisses, dans l’une des huit entrées du site, un pas sera franchi. Celui d’une nouvelle phase, celle du partage. Le Cirque ne sera jamais un parc au sens classique, avec ses pelouses tondues et ses bancs alignés. Il est plus sauvage, plus indocile, plus exigeant. Et c’est ce qui le rend précieux. Parce qu’il nous oblige à ralentir, à regarder, à écouter. À comprendre que la nature, même en ville, même à deux pas de chez soi, peut encore nous étonner, nous émerveiller, et nous rappeler l’essentiel.