Rue Belliard, c’est un parfum d’eau neuve qui flotte dans l’air. Là où hier encore s’étendait un parking anonyme, se dresse désormais un écrin de lumière et de bois : la piscine Solita Salgado. Après deux ans de chantier, l’établissement a enfin ouvert ses portes et offre plus de 3 000 m2 de bassins, d’espaces ouverts et d’ondes aquatiques aux habitants du 18e arrondissement. Ce nouvel équipement n’est pas qu’un lieu pour aligner des longueurs ; il est une déclaration d’intention. À la fois geste architectural et hommage vibrant à une pionnière de la natation, il incarne l’idée qu’une piscine peut être un espace d’apprentissage, d’émancipation et de respiration dans un quartier en pleine mutation.
Dès l’entrée, on sent que l’on pénètre dans un lieu pensé autrement. Le regard se perd sous la charpente en bois, immense vague figée à treize mètres de hauteur, qui ondule au-dessus de l’eau comme une coque inversée. Le soleil accroche les nervures du bois français et en révèle les reflets dorés, créant un jeu de lumière mouvant sur les deux bassins. Ici, chaque détail compte : un bassin de 15 mètres pour l’apprentissage et les plus jeunes, un autre de 25 mètres pour les nageurs aguerris et les scolaires. L’architecture privilégie la fluidité : un vaste parvis accueille le public et relie la piscine au terrain d’éducation physique Jesse Owens via un escalier et un ascenseur. Aucun obstacle : le bâtiment est pensé pour tous, y compris les personnes à mobilité réduite, signe que l’accessibilité est au cœur du projet.
L’esprit du lieu, c’est aussi l’écologie. La piscine Solita Salgado n’est pas seulement un bijou architectural : c’est un manifeste pour un urbanisme plus responsable. Le bois utilisé pour sa charpente provient exclusivement de forêts françaises. Les labels et certifications – bâtiment biosourcé, pacte Fibois, Haute Qualité environnementale catégorie équipements sportifs, Biodiversity – sont autant de gages d’un engagement profond. Le toit devient un écosystème : des toitures végétalisées rafraîchissent l’air et créent un habitat pour les insectes pollinisateurs, des murs végétaux absorbent les sons urbains, des nichoirs invitent oiseaux et chauves-souris à cohabiter avec les nageurs. Au milieu d’un quartier dense, ce bâtiment se vit comme une respiration verte, un lieu où nature et ville dialoguent.
Mais cette piscine raconte aussi une histoire humaine. Celle de Solita Salgado, née en 1914 à Bogota, installée en France dès les années 1920 et naturalisée en 1927. Entre 1929 et 1934, elle règne sur les bassins français : championne de France à plusieurs reprises, recordwoman d’Europe en 1930 sur 500 mètres nage libre. En 1944, elle s’engage dans les Forces françaises de l’intérieur, puis rejoint l’Armée de l’air où elle fera carrière, décorée de la Croix de Guerre. Une vie romanesque, entre performances sportives et courage militaire, qui résonne aujourd’hui dans le nom de ce lieu.
Solita Salgado fut aussi une militante avant l’heure. Elle a défendu l’accès de tous à la natation, imaginé des programmes éducatifs pour les enfants défavorisés et porté la cause des infrastructures publiques accessibles aux personnes handicapées. Elle voyait la piscine comme un outil d’émancipation et d’égalité, bien plus qu’un espace sportif. Donner son nom à ce nouvel équipement du 18e, c’est prolonger cet engagement et faire de chaque brassée une mémoire vivante.
Dans les prochains mois, la piscine Solita Salgado deviendra sans doute un repère du quartier : un lieu où l’on apprend à nager, mais aussi où l’on respire, où l’on se rencontre, où l’on invente de nouvelles manières de vivre ensemble. Entre les portes de Saint-Ouen et de Clignancourt, elle dessine un futur où l’eau relie autant qu’elle rafraîchit. Ici, l’architecture respire, l’eau devient lien social, et, derrière chaque longueur, on devine l’héritage d’une femme qui a brisé les lignes pour rendre le sport accessible à tous.
Paris 18e : la piscine Solita Salgado

Par Assia Bedja
Publié le 18 septembre 2025 à 10h53 – Temps de lecture : 4 minutes