En France, l’accès aux soins est universel, mais les inégalités sociales continuent de peser lourdement sur la santé. C’est ce que révèle une vaste étude coordonnée par le Dr Stylianos Tzedakis et le Pr Vincent Mallet à l’hôpital Cochin – Port-Royal AP-HP, menée en collaboration avec l’université Paris Cité, le Centre Inria de Paris et l’Inserm (Unité HeKA). Publiée le 5 septembre 2025 dans JHEP Reports, elle démontre que les patients issus de milieux défavorisés ont moins accès aux traitements curatifs du cancer primitif du foie et présentent un risque de mortalité significativement plus élevé.
Cette pathologie, aussi appelée carcinome hépatocellulaire (CHC), est aujourd’hui la sixième cause de cancer et la troisième cause de décès par cancer dans le monde. En France, malgré un système de soins qui se veut égalitaire, les différences sociales influencent fortement les chances de survie. Le constat fait écho au récent rapport de la Commission du Lancet sur le CHC, qui avertit que, sans mesures de prévention et d’organisation adaptées, le nombre de nouveaux cas pourrait presque doubler d’ici 2050.
Entre 2017 et 2021, les chercheurs ont étudié les dossiers de 62 351 patients adultes atteints d’un cancer primitif du foie. Près de la moitié appartenait à des catégories considérées comme défavorisées, selon des critères de chômage, de type d’emploi, de niveau d’éducation ou de revenu. L’analyse montre que ces patients accèdent moins souvent aux traitements curatifs – chirurgie, transplantation ou ablation – pourtant essentiels pour espérer une guérison, et qu’ils décèdent plus souvent que leurs homologues issus de milieux favorisés. Cette inégalité persiste, quel que soit le lieu de résidence des patients, indépendamment de la densité médicale locale ou de la distance aux structures hospitalières.
Un résultat, cependant, apporte une perspective encourageante : lorsque les patients défavorisés sont pris en charge dans des hôpitaux de référence, leurs chances d’accéder à un traitement curatif rejoignent celles des patients favorisés, et leur risque de mortalité s’aligne également. La centralisation des soins dans des centres spécialisés apparaît ainsi comme un levier décisif. Selon les estimations des auteurs, cette organisation permettrait d’augmenter de 25 % l’accès aux traitements efficaces pour les patients défavorisés, soit près de 800 vies sauvées chaque année en France.
Au-delà de l’accès aux traitements, les chercheurs insistent sur la nécessité de renforcer les politiques de prévention. La lutte contre la consommation excessive d’alcool, l’amélioration de la couverture vaccinale contre l’hépatite B ou encore la prise en charge précoce des maladies métaboliques liées au surpoids et au diabète constituent autant de mesures essentielles pour freiner la progression de cette maladie. L’information et la sensibilisation du grand public, ainsi que la formation continue des professionnels de santé, font également partie des recommandations.