À l’occasion d’une vente publique, le château de Versailles a exercé son droit de préemption pour acquérir un grand portrait de Louis XIV enfant aux côtés de sa mère, la reine régente Anne d’Autriche. Réalisée entre 1644 et 1645 par les peintres Charles et Henri Beaubrun, cette œuvre remarquable, aussi précieuse par sa qualité picturale que par la richesse de son iconographie, vient enrichir les collections nationales et sera prochainement exposée dans les salles consacrées au règne de Louis XIV.
Ce tableau, dont la composition témoigne d’une sensibilité rare, saisit un moment charnière de l’histoire de France. Peint peu après la mort de Louis XIII, il met en scène le jeune Louis XIV, alors âgé de cinq ou six ans, encore vêtu selon les usages de l’enfance, « à la bavette », dans une robe longue précédant l’entrée dans l’âge de raison. Il repose sa main dans celle de sa mère, un geste intime qui suggère à la fois tendresse, protection et continuité dynastique. Anne d’Autriche, représentée dans une tenue blanche de deuil, rompt avec les conventions du XVIIe siècle qui privilégiaient le noir. Ce choix vestimentaire, hérité de traditions médiévales, souligne son rang et sa volonté d’affirmer son autorité de régente.
Ce portrait familial, aux allures officielles, prend place dans un contexte politique particulièrement tendu. Depuis la disparition de Louis XIII en 1643, Anne d’Autriche gouverne seule le royaume, son fils n’ayant que cinq ans. Ce tableau immortalise ainsi une configuration inédite du pouvoir monarchique : un enfant roi, étroitement entouré de sa mère, elle-même régente, incarnant à la fois la continuité du pouvoir royal et l’espoir d’un avenir apaisé. Mais ce calme apparent est trompeur. Dès 1645, l’année des sept ans de Louis XIV – âge auquel il quitte les femmes qui l’ont élevé pour rejoindre l’univers masculin des gouverneurs et des précepteurs –, l’enfant est contraint de tenir un lit de justice devant le Parlement de Paris. Deux ans plus tard, ce même Parlement se rebelle, déclenchant la Fronde, une guerre civile qui bouleversera durablement le jeune roi et contribuera à forger son autorité.
Le tableau constitue donc un témoignage pictural de la précarité du pouvoir royal durant l’enfance du Roi-Soleil. Il révèle également les tensions et les enjeux politiques d’un moment décisif : celui d’un enfant-roi encore dépendant, d’une régente exerçant seule le pouvoir, et d’un royaume au bord de la crise. Ces éléments nourriront chez Louis XIV une méfiance durable envers Paris et ses institutions, l’incitant à privilégier ses résidences d’Île-de-France, notamment Saint-Germain-en-Laye, puis Versailles.
Les auteurs de cette œuvre, les cousins Beaubrun, Charles et Henri, sont parmi les portraitistes les plus en vue de leur temps. Nés à Amboise au début du XVIIe siècle, ils sont réputés pour leur travail d’une grande précision et leur capacité à peindre à deux mains, chacun pouvant reprendre le pinceau de l’autre sans rupture stylistique. Très appréciés par Anne d’Autriche, ils sont choisis pour immortaliser des moments rares de la vie royale, tels que la grossesse de la reine – événement exceptionnellement représenté à l’époque – ou encore les premiers jours de vie du jeune Louis XIV.
Ce portrait, probablement commandé dans un cadre diplomatique ou destiné à une grande maison de la noblesse française ou étrangère, témoigne du prestige de ses destinataires. Sa taille, sa qualité et sa composition ambitieuse le rapprochent d’autres œuvres conservées dans les plus grandes collections européennes, comme celles du musée du Prado à Madrid ou du National museum de Stockholm, qui conservent des portraits envoyés par la cour de France à ses alliés ou rivaux.
Le château de Versailles, fidèle à sa politique d’enrichissement des collections nationales, veille à préserver et valoriser ce type de chefs-d’œuvre. En tant que musée national, il mène une politique active d’acquisitions, complétant ses fonds par des achats, des dons ou des legs, afin d’éclairer et d’enrichir le récit historique qu’il présente aux visiteurs. Ce nouveau tableau rejoindra prochainement le parcours permanent, dans les salles dédiées au règne de Louis XIV. Il y dialoguera avec d’autres œuvres des Beaubrun, notamment le portrait du jeune roi nourrisson avec sa nourrice Élisabeth Longuet de La Giraudière, ainsi qu’avec d’autres effigies de la famille royale.
Château de Versailles : Un portrait de Louis XIV enfant et de sa mère

Par Marie Aschehoug-Clauteaux
Publié le 11 juin 2025 à 15h06 – Temps de lecture : 4 minutes