Alors que les températures grimpent et que les Français se préparent à arpenter festivals, parcs, gares et centres commerciaux, une enquête nationale vient jeter un sérieux pavé dans la mare. Trois ans après l’entrée en vigueur de la loi Agec (Anti-Gaspillage pour une Économie circulaire), qui impose à tous les établissements recevant du public (ERP) de mettre à disposition des points d’eau potable gratuits et signalés, les chiffres sont édifiants : seuls 9 % des établissements contrôlés respectent parfaitement cette obligation légale.
Entre mars et mai 2025, ce sont 80 bénévoles issus des réseaux locaux de l’UFC-Que Choisir et de l’association No Plastic In My Sea qui se sont mobilisés à travers toute la France pour vérifier la mise en œuvre de cette mesure phare. Au total, 247 établissements ont été visités, de la gare TGV à la station-service d’autoroute, en passant par les musées, les campus universitaires et les grands centres commerciaux. Partout, le même constat : un manque criant de points d’eau, une signalétique quasi inexistante, et des usagers souvent contraints de débourser plusieurs euros pour s’hydrater.
Sur l’ensemble des établissements visités, à peine la moitié disposaient d’un point d’eau potable accessible, une proportion pourtant bien en deçà des exigences de la loi en vigueur depuis janvier 2022. Même dans les lieux où ces fontaines existent, leur repérage relève souvent du jeu de piste. Sur les 128 points d’eau identifiés, près de la moitié n’étaient accompagnés d’aucune signalétique et seuls 22 établissements, soit 9 % de l’échantillon, avaient correctement mis en place des panneaux directionnels, pourtant obligatoires. Résultat : 225 établissements sur 247 ne respectaient pas l’ensemble des obligations fixées par le législateur.
Cette carence a un double impact, à la fois environnemental et social. En l’absence d’eau gratuite, les usagers n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’eau embouteillée. Une solution coûteuse : en gare, par exemple, une simple bouteille de 50 cl atteint désormais le tarif moyen de 2,50 euros, soit près de 10 euros pour une famille de quatre personnes, un coût difficilement acceptable pour un besoin aussi élémentaire. Au-delà du portefeuille des ménages, c’est l’environnement qui en paie aussi le prix fort. La France reste l’un des plus gros consommateurs de bouteilles en plastique, avec quelque 15 milliards d’unités mises sur le marché chaque année. Pire encore, leur tonnage a progressé de 10 % entre 2021 et 2023, à rebours des objectifs affichés de réduction des plastiques à usage unique.
Pourtant, l’expérience des Jeux olympiques de Paris a démontré qu’une autre voie était possible. Grâce à une mobilisation exemplaire et à une signalétique claire et omniprésente, la capitale a réussi à diviser par trois la consommation de bouteilles plastiques par rapport aux Jeux de Londres. La clé de ce succès ? Des fontaines accessibles, visibles, bien indiquées, et une campagne d’information efficace auprès du public. Ce précédent prouve que des résultats concrets sont atteignables dès lors que l’on s’en donne les moyens.
Forts de ce constat, l’UFC-Que Choisir et No Plastic In My Sea exhortent aujourd’hui les pouvoirs publics à réagir sans délai. Elles demandent la stricte application de la loi et la mise en œuvre rapide de sanctions à l’encontre des établissements en infraction. Il s’agirait également d’harmoniser la signalétique sur l’ensemble du territoire, en élaborant un pictogramme national standardisé, immédiatement reconnaissable et lisible. Autre proposition : rendre obligatoire la déclaration des points d’eau existants afin de constituer une cartographie nationale en open data, accessible à tous.
Au-delà du cadre légal, ces associations appellent à déployer des campagnes de sensibilisation sur les bienfaits de l’eau du robinet, dont la qualité reste très inégale selon les territoires mais qui demeure, dans la grande majorité des cas, parfaitement potable et bien moins polluante que son équivalent embouteillé. Elles plaident également pour que les pouvoirs publics, les collectivités, les entreprises et les éco-organismes soient mobilisés dans la rédaction du prochain décret 3R, qui doit fixer pour 2026-2030 un objectif ambitieux : réduire de 50 % le nombre de bouteilles plastiques mises sur le marché d’ici 2030.
Dans l’attente d’un sursaut politique, les citoyens peuvent déjà agir à leur niveau. L’association No Plastic In My Sea propose une carte interactive, Watermap.fr, qui recense les points d’eau potable disponibles sur le territoire. Accessible en français et en anglais, cette plateforme permet non seulement de géolocaliser les fontaines existantes, mais aussi d’en signaler de nouvelles pour enrichir la base de données collaborative. Une initiative bienvenue, à l’heure où l’accès à l’eau potable gratuite et visible devrait être un droit élémentaire et non un luxe caché derrière des étagères de bouteilles plastiques.