Musée du Louvre : deux nouvelles acquisitions

Symboles forts de sa mobilisation en matière de politique patrimoniale, le Musée du Louvre annonce deux importantes acquisitions : • une torchère à l’antique dite candélabre […]

Symboles forts de sa mobilisation en matière de politique patrimoniale, le Musée du Louvre annonce deux importantes acquisitions :
• une torchère à l’antique dite candélabre ananas, attribuée aux frères Jacob, d’après Charles Percier, Paris, vers 1799 ;
• une statue en marbre intitulée Le Silence, attribuée à Joseph Chinard (Lyon, 1756 – id. 1813), posée sur un socle en acajou et bronze doré, conçu vers 1798 par Louis Martin Berthault (1771-1823) d’après les frères Jacob, qui encadraient le lit de Juliette Récamier dans son hôtel de la rue du Mont-Blanc, haut lieu du raffinement et de la mode où le Tout-Paris se devait d’être reçu dans les premières années de l’Empire.
Grâce à la générosité de la Société des Amis du Louvre et au legs de Guy Ledoux-Lebard, le Musée du Louvre présentait déjà au public le lit, les deux tables de nuit et le secrétaire de cette chambre, dont le décor marque une étape dans la création d’un style Empire. La statue du Silence et le candélabre ananas, seuls éléments restés en mains privées jusqu’à ce jour, avaient été prêtés au Louvre en 1993 pour quelques mois lors de l’inauguration de l’aile Richelieu, puis temporairement présentés dans l’exposition Juliette Récamier, muse et mécène au Musée des Beaux-Arts de Lyon en 2009.
Le Louvre est intervenu à l’occasion de la vente publique organisée le 4 décembre 2022 à Fontainebleau par la maison de vente Osenat. Grâce, une nouvelle fois, au soutien de la Société des Amis du Louvre, la torchère a pu être préemptée. En revanche, les enchères ont dépassé l’enveloppe prévue pour Le Silence. Grâce au geste d’une grande élégance du collectionneur adjudicataire, qui a su comprendre l’importance de cet ensemble pour le Louvre et qui a accepté sa proposition de rachat de la statue, les deux objets vont pouvoir retrouver leur place d’origine.

La chambre de Juliette Récamier à l’hôtel de la rue du Mont-Blanc
L’ancien hôtel Necker, construit par l’architecte Mathurin Cherpitel dans le quartier de la Chaussée d’Antin à Paris, est acheté par le banquier Jacques-Rose Récamier en octobre 1798. Le réaménagement en est immédiatement confié au décorateur Louis-Martin Berthault, dont les projets pour la chambre de Madame Récamier sont publiés en 1801 dans le recueil de Krafft et Ransonnette (Plans, coupes, élévations des plus belles maisons et des hôtels construits à Paris et dans les environs), sous son nom et datés de 1798. L. M. Berthault y collabore avec l’architecte Charles Percier (comme en atteste aujourd’hui un ensemble de dessins aquarellés de Percier récemment identifiés au département des Estampes de la Bibliothèque nationale).
L’hôtel Récamier devint rapidement une curiosité parisienne, que tous les provinciaux et étrangers de marque se devaient de visiter, tout particulièrement la chambre. C’est ainsi que Robert Smirke, futur architecte du British Museum, qui séjourne à Paris en septembre 1802, exécute une aquarelle de la chambre, qui nous documente sur son aspect définitif, où figure alors le candélabre en forme d’ananas à neuf lumières.
Jacques-Rose Récamier fait faillite fin 1805. Et en 1808 François-Dominique Mosselman, négociant originaire de Bruxelles, se porte acquéreur de l’hôtel et d’une partie du mobilier, notamment de la chambre, restée presque intacte encore lors d’un inventaire après décès en 1829. L’hôtel est ensuite occupé par Fanny Mosselman, célèbre comtesse Le Hon, et devient le siège de la légation belge.

Une torchère à l’antique attribuée aux frères Jacob, d’après Charles Percier, Paris, vers 1799
Excepté l’étonnant couronnement en ananas d’une grande fantaisie, le modèle est extrêmement proche d’un candélabre dessiné par Charles Percier pour l’atelier de peinture de Jean-Baptiste Isabey. Cet atelier, qui servait à la fois de cabinet de travail et de chambre à coucher, apparaît dans le tableau de Boilly Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey (Musée du Louvre) exposé au Salon de 1798. Ce décor semble donc légèrement antérieur à celui de l’hôtel Récamier. Comme celui de Mme Récamier, le lit d’Isabey était encadré de ce candélabre et d’une statue. Le décor est publié dans le Recueil de décorations intérieures de Percier et Fontaine.
On peut également reconnaître ce même modèle dans les candélabres dits « modèle d’Herculanum » livrés en 1806 par Jacob-Desmalter pour la chapelle des Tuileries. Cette reprise du modèle par Jacob-Desmalter conforte l’attribution du candélabre de Juliette Récamier aux frères Jacob.

Statue en marbre Le Silence, attribuée à Joseph Chinard (Lyon, 1756 – id. 1813).
Sur un socle en acajou et bronze doré, portant l’inscription latine : Tutatur somno et amores conscia lecti (Elle protège les songes et les amours, complice de la couche), conçu vers 1798 par Louis Martin Berthault (1771-1823), d’après Jacob Frères [Georges II Jacob (1768-1803) et François Honoré Georges Jacob (1770-1841)].
Le Silence reçoit sa dénomination rapidement comme semble le laisser entendre la mention de Madame Cazenove d’Arlens, compatriote lyonnaise de Mme Récamier qui visite l’hôtel de la rue Mont-Blanc en 1803. Rachetée avec une partie du mobilier par François-Dominique Mosselman en 1808, cette sculpture est restée dans la descendance de la famille Mosselman. En 1949, elle est retrouvée et remise à l’honneur par une publication de René, Guy et Christian Ledoux-Lebard qui l’attribuent à cette occasion au sculpteur lyonnais Joseph Chinard. L’artiste fréquentait assidûment les Récamier à Paris et créa le magnifique portrait de Juliette (marbre, 1805-1806, Lyon, Musée des Beaux-Arts, inv. B 871) diffusé abondamment du vivant même de l’artiste et de son modèle.
Le Silence est alors présenté comme une copie d’un antique de la collection Médicis : La statue de prisonnière barbare dite Thusnelda fut en effet achetée par Ferdinand de Médicis en 1584 pour la villa Médicis où elle demeura jusqu’en 1787, date de son transfert à Florence où elle est visible depuis 1789 dans la Loggia dei Lanzi. La référence à cet antique se fait par l’intermédiaire de la copie qu’en avait réalisée Pierre II Legros, considérée au XVIIIe siècle comme un chef-d’œuvre métamorphosant un original jugé alors médiocre.
La taille du marbre est d’un grand raffinement, en particulier au niveau des drapés moelleux et de la chevelure au traitement sophistiqué. Son poli satiné met en valeur la sensualité de cette figure pensive, volontairement accentuée en comparaison du modèle de Legros. Se voulant autant sculpture qu’objet d’art, cette statue est à n’en pas douter de la main d’un excellent sculpteur, formé auprès de grands maîtres de la statuaire de l’Ancien Régime pour lesquels le modèle classique reste indépassable, mais qui montre également une appétence nouvelle pour la transcription des sentiments.