Adossée à l’engouement mondial pour le plaisir virtuel – chaque seconde, 30 000 personnes regarderaient un porno en ligne –, la sex-tech a le vent en poupe. Après les sextoys connectés, les applis de rencontres d’un soir, les films en réalité virtuelle… l’intelligence artificielle a sorti de ses draps numériques le robot sexuel. Summum du gap qui peut exister entre la vraie vie et le monde du web ? Symptôme d’une société qui cherche à rompre sa solitude pour le meilleur et le pire ?
La façon dont nous interagissons avec les autres s’est radicalement transformée au cours des dernières décennies. L’avènement d’Internet, des smartphones et des médias sociaux a modifié la façon dont nous entrons en relation les uns avec les autres et a créé de nouveaux défis pour les individus et la société. L’un des problèmes les plus importants qui a été mis en évidence par les chercheurs est la solitude, dont l’augmentation est spectaculaire. Ce phénomène, communément appelé « isolement numérique », peut avoir un effet particulièrement néfaste sur la santé et la qualité de vie. On a constaté que les personnes solitaires présentent un risque beaucoup plus élevé de mortalité et de morbidité, notamment de maladies cardiovasculaires, de dépression et une mauvaise qualité de vie. Concomitante à cette solitude, l’invention, non pas de nouveaux rapports avec les individus, mais de nouveaux « individus » pour de nouveaux rapports…
Si le marché mondial du sexe est surtout tracté par les ventes de sextoys – 22 milliards de dollars ! –, les sexbots sont en plein essor et représentent un marché de plus de 30 milliards annuels. Leur vente a augmenté de près de 700 % ces cinq dernières années. La popularité de ces poupées gonflables ultra-réalistes – et poupons dans une moindre mesure – peut surprendre certains, mais elle est logique quand on y réfléchit. La personne qui se sent seule ou qui a des problèmes relationnels peut trouver dans ces corps sans chair ni os une solution parfaite, d’autant que ceux-ci bénéficient des technologies les plus poussées : personnalisation du sujet, capacité de répondre à toutes les demandes, simulation de l’orgasme, corps chauffant, réaction au toucher, caractères interchangeables, intégration d’une phase de séduction, mémorisation des envies, voix, transpiration… Henry, premier robot sexuel masculin, peut même chanter, réciter des poèmes ou raconter des blagues ! Certains propriétaires transis en ont fait des compagnes de vie qu’ils habillent et assoient sur le canapé de leur salon. Après 18 mois de vie commune, Yuri Tolochko, célèbre bodybuilder kazakh a mis la bague au doigt de Mochi, son jouet en silicone. Et dans cette folie de « l’amour-marionnette », il est loin d’être le seul à avoir convolé… Après tout, qui ne voudrait pas avoir une « connexion émotionnelle » avec une autre personne sans risquer d’avoir à affronter les défis qui accompagnent une relation – dont les sempiternels dangers des maladies sexuellement transmissibles, assurent les industriels ?
L’industrie pornographique de l’Internet (300 millions d’euros par an en France) a fait déjà une grande démonstration du mauvais usage de la romantique « bagatelle ». Les dérives qu’on lui attribue dans la sexualité des jeunes notamment sont majeurs, recherche de la performance, utilisation de la contrainte, addiction, précocité de la relation – 58 % des garçons et 45 % des filles ont vu leur première image pornographique avant l’âge de 13 ans. La demande croissante de ces « love dolls » peut, à cet égard, poser de sérieux problèmes à la société. Retour du sexisme et du machisme, dénoncent les féministes qui y voient une culture de la femme-objet et, au vu du prix de ces machines (de 2 500 euros à 10 000 euros selon les options, voire beaucoup plus si on veut une experte en philosophie ou un troisième sein !), une marchandisation de la sexualité… Certains chercheurs estiment que ces poupées pourraient créer de nouveaux types de dépendance, un risque sérieux pour la santé publique, et plus encore, généraliser de véritables déviances chez leurs utilisateurs, toujours avides d’assouvir plus de fantasmes. Au Japon, pays dans lequel une sexbot est vendue toutes les 30 secondes, des sites web proposent des enfants en silicone en toute légalité. Objets pédopornographiques que le fabricant veut légitimer en prétendant qu’ils empêchent de passer à l’acte dans la vraie vie ! Et les acheteurs nombreux…
Les propriétaires de robots sexuels ne peuvent ou ne veulent rencontrer personne et se sentent invariablement seuls dans la vraie vie : personne peu sociable, veufs et personnes âgées, conjoint insatisfait, partenaire physiquement lointain ou célibataire affirmé… L’IA et la robotique peuvent jouer – elles le font déjà – un rôle important dans la vie sexuelle. Ces technologies sont notamment utilisées pour aider les personnes handicapées à avoir de meilleures relations, plus épanouissantes. Aider ceux qui n’ont pas de succès dans leur vie amoureuse, soutenir les personnes retirées. Mais comment remédier à cet isolement numérique ? Une approche de ce problème consiste à créer davantage d’espaces hors ligne où les gens peuvent interagir les uns avec les autres. Se mettre hors des écrans comme on se mettrait hors des radars… Dans un nombre croissant de villes ou quartiers, on s’y emploie par le biais d’initiatives appelées « villes qui créent des relations », « quartiers (dé)connectés » ou « villes-communauté ». Ces lieux de la vraie vie veulent réduire la distanciation sociale, renouer des liens en s’efforçant de créer une infrastructure numérique qui facilite les interactions hors ligne, des espaces où les gens peuvent se rencontrer et interagir avec d’autres, des personnes d’horizons différents ayant des intérêts communs.
Reste qu’en mars dernier, une étude du site SexualAlpha révélait des résultats édifiants : 15,5 % des personnes interrogées ont eu des relations sexuelles avec ou possèdent elles-mêmes un robot sexuel, 50,1 % sont intéressées par des relations sexuelles avec un robot sexuel sophistiqué, 37,5 % auraient des relations sexuelles avec un robot contre 30,1 % qui inviteraient quelqu’un pour des relations sexuelles occasionnelles, 41,9 % feraient un plan à trois avec un robot sexuel et leur partenaire, 50,7 % pensent qu’il est possible de créer un véritable attachement romantique avec un robot sexuel, 44 % souhaitent visiter un cyberbordel. Le panel était plutôt réduit, près de 3 300 personnes interrogées. Mais la sagesse est bien connue : quand on aime, on ne compte pas…