Un an après l’entrée en vigueur de la loi du 31 mai 2024, portée par la volonté de rendre plus juste et humaine la justice patrimoniale au sein des familles, le bilan de la réforme du dispositif de solidarité fiscale entre ex-conjoints est sans appel : les avancées sont bien réelles et les chiffres témoignent d’un impact concret sur la vie de centaines de personnes, principalement des femmes, jusque-là piégées par un système fiscal souvent aveugle aux réalités sociales et familiales.
Ce nouveau cadre juridique, qui avait fait l’objet d’un consensus rare au Parlement, a profondément remanié l’article 1691 bis du Code général des impôts en autorisant désormais, dans des situations humaines jusqu’ici ignorées, une décharge de solidarité fiscale. Ce droit rénové permet aux ex-conjoints d’être exonérés du paiement de dettes fiscales contractées par l’autre après leur séparation, notamment dans des cas de violences conjugales ou de dettes issues d’activités professionnelles auxquelles ils n’ont ni participé ni tiré le moindre bénéfice. À cette avancée s’ajoute l’introduction dans le Livre des procédures fiscales d’une décharge gracieuse de responsabilité, nouveau levier au service des victimes de solidarités fiscales injustes.
Ce texte n’est pas resté lettre morte. La Direction générale des Finances publiques s’est rapidement saisie de cette réforme en diffusant dès juillet 2024 des instructions internes et en actualisant ses supports d’information en ligne, permettant aux personnes concernées de mieux connaître et mobiliser ce nouveau droit. Les services fiscaux ont également instruit en priorité les demandes de décharge dans le cadre de cette réforme, dans un esprit de vigilance et d’attention aux situations les plus délicates, comme l’a reconnu le collectif « Femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale », qui avait, des années durant, dénoncé l’injustice d’un dispositif anciennement rigide et déconnecté des réalités.
Les premiers résultats chiffrés confirment la portée de cette réforme. En l’espace d’une année, 484 demandes de décharge ont été déposées, soit une hausse nette par rapport à la moyenne annuelle de 250 à 300 demandes constatées sous le précédent régime. Plus remarquable encore : 88 % des décisions rendues ont abouti à l’octroi d’une décharge, un taux plus de deux fois supérieur à celui de 2023, où à peine 39 % des demandes étaient acceptées. En valeur, ce sont 96 millions d’euros de dettes fiscales qui ne seront plus réclamés aux ex-conjoints, sur un total de 98,4 millions demandés. Le taux de satisfaction atteint ainsi près de 98 %, preuve qu’une politique publique peut être à la fois ambitieuse et efficace lorsqu’elle s’appuie sur des dispositifs adaptés et des agents mobilisés.
Au-delà des chiffres, ce sont des situations humaines qui se débloquent. Dans leur écrasante majorité, ces demandes émanent de femmes — elles représentent 87 % des requérantes — souvent plongées dans des contextes difficiles après une séparation ou un divorce, devant parfois faire face à des dettes colossales contractées à leur insu ou en lien avec des situations de violence. Grâce à cette réforme, certaines ont pu voir leur situation financière rééquilibrée et, dans 1,5 million d’euros de cas, obtenir le remboursement de sommes prélevées à tort depuis leur séparation. Une avancée concrète et symbolique dans la reconnaissance de ces situations injustes.
Si quelques points d’ajustement restent à débattre, notamment en ce qui concerne la restitution des sommes dans des cas plus complexes, cette réforme constitue d’ores et déjà un tournant dans la manière dont l’administration fiscale appréhende les solidarités familiales après une séparation. Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, s’en est félicitée en soulignant que ces résultats démontrent qu’un droit fiscal plus humain et mieux adapté aux réalités de la société est non seulement souhaitable, mais aussi possible, lorsque l’État, le Parlement et la société civile avancent de concert.
À travers cette réforme du 31 mai 2024, c’est bien l’idée d’une fiscalité équitable et protectrice des personnes vulnérables qui se réaffirme, dans une démarche où la technique juridique se met enfin au service de la justice sociale. Une ambition qui devrait inspirer d’autres évolutions législatives, alors que les familles et les formes de vie commune continuent de se diversifier.